Un employé brimé s’invente un règlement de compte sur l’oreiller. Un douloureux complexe se transforme en un atout de charme irrésistible. Un veuf retrouve l’étreinte de son amour perdu. Un bon père de famille déshabille mentalement sa jeune voisine. Une victime d’abus sexuel intègre son traumatisme dans ses visions érotiques. Une fervente féministe nourrit son désir par des scènes de soumission ou d’humiliation.
Le fantasme est un univers érotique transgressif qui, par essence, repousse les limites du possible, de la bienséance, de nos convictions ou de nos idéaux.
Certaines pensées interdites nous exaltent alors que d’autres nous surprennent et créent un malaise qui peut culpabiliser même les plus débridés d’entre nous : « Est-ce normal ? Suis-je immature, irrespectueux, insatisfait, déséquilibré ou même pervers ? »
Rassurez-vous. Ce monde imaginaire n'est qu'un jeu. Il n’implique jamais les conséquences insupportables de la réalité. Nous pouvons nous rebeller contre les normes, agresser sans blesser, nous sentir irrésistible sans séquestrer, nous soumettre sans vulnérabilité. L’attaque n’est pas réelle ; les jugements de valeur n’ont pas leur place.
La nature du fantasme, en tant que telle, n’est pas pertinente pour soulever la question de la perversion sexuelle. Il y a quelques années, la fellation était encore considérée comme une conduite déviante. Et qu’aurait-on pensé, à l’époque, de cette romance bien connue faisant l’apologie des jeux sadomasochistes ? Rien n'est plus flou que la frontière du "tolérable", tant elle varie dans le temps, dans l'espace et entre tous les individus.
Il n’existe donc pas de contenu fantasmatique ''normal'' ou ''approprié''. Ce sont les répercussions qui importent.
Le comportement sexuel visé dans notre scénario mental doit nous alarmer lorsqu’il nous obsède, lorsqu’il devient compulsif et obligatoire pour atteindre du plaisir, ou lorsque la pulsion du passage à l’acte s’intensifie et risque de porter atteinte à une autre personne non consentante, de manière directe ou indirecte.
Comment expliquer qu’un tel scénario traverse mon esprit ? Quel est son rôle ?
Une méta-analyse récente de neurosciences insiste sur le chevauchement presque parfait entre le pattern des zones cérébrales impliquées dans nos fantasmes éveillés et celui des zones activées pendant nos rêves.
Autrement dit, il semblerait que ces constructions mentales remplissent une mission commune ; elles forment un monde onirique qui intègre et assimile notre vécu, nos désirs, nos besoins, nos craintes et nos blessures. Nos fantasmes constitueraient simplement la facette conscientisée d’une force créatrice qui nous veut du bien.
En effet, notre cerveau doit continuellement supporter toutes sortes de règles morales, culturelles, religieuses, institutionnelles, etc. Une mise en scène, jouée dans notre théâtre intérieur, vient à son secours en provoquant la libération massive de messagers biochimiques de plaisir dans notre cerveau, et ceci même lorsque son contenu est inconfortable ou honteux à nos yeux.
Les chercheurs interprètent ce signal agréable comme une sorte de pansement sur nos frustrations quotidiennes. Il aurait une fonction immunitaire pour notre esprit en nous offrant un refuge, un espace pour lâcher prise par rapport à notre réalité et à nos émotions.
Le fantasme peut enfin être considéré comme une activité saine et épanouissante.
Non seulement, le fantasme agit comme un piment puissant dans notre sexualité ; mais il donne également la réponse à une tension enfouie en nous. Il murmure des vérités qui peuvent être difficilement accessibles à notre conscient. Si nous dépassons la forme sous laquelle il se présente, nous pouvons trouver des informations précieuses sur notre vie intérieure, notre histoire singulière et nos dynamiques relationnelles.
Par exemple, convoquer un fantasme d’asservissement pourrait permettre à un directeur intransigeant de lâcher prise par rapport à sa politique de contrôle rigide, comme il permettrait à un époux attentionné de s’évader d’une routine sexuelle tendre et un peu trop mièvre à son goût.
Deux fantasmes d’apparence similaires peuvent avoir une signification diamétralement différente, selon les personnes ou les périodes de votre vie. Évitez de vous fier aux affabulations du tout-venant pour interpréter vos pensées. Votre imaginaire parle de votre vécu unique, écoutez seulement le vôtre.
Naturellement, l'ambivalence de ces visions fantasmatiques, entre réconfort et inconfort, peut tout de même nous déstabiliser. Si cet embarras persiste et nécessite une mise au point quant à sa signification, prenez soin de déposer les clés de votre intimité entre des mains expérimentée et bienveillantes.